| | Aux sources de la foi à Lyon pour proposer la foi en France au XXIème siècle
En me demandant cette intervention, Mgr Marcus m'avait dit qu'elle "pourrait
être axée avantageusement sur le thème général de la rencontre : Aux sources
de la foi à Lyon pour proposer la foi en France au XXIè siècle." Fort de
cette consigne, j'ai essayé de me glisser dans ce thème, rejoignant ainsi, du
moins je l'espère, le premier des deux objectifs assignés à ce rassemblement
(je cite ici le dossier de presse) : "Aller aux sources de la foi en notre pays
en cette première année du siècle nouveau et se mettre ensemble au service de
l'évangélisation dans la société actuelle."
Je vous propose, de façon très modeste, un parcours en trois étapes, dont j'emprunte
les titres à l'énoncé même du thème général :
A Lyon
Aux sources de la foi
Pour proposer la foi en France au XXIème siècle
A LYON
Je voudrais d'abord mettre en relief la force symbolique de notre présence ici,
du point de vue même des objectifs de ce pèlerinage, de cette rencontre nationale
des séminaires et centres de formation. Autrement dit, pour signifier notre
désir commun d'aller aux sources de la foi, il n'y avait en quelque sorte pas
de meilleur lieu en France (car je n'ose plus dire dans les Gaules) que la ville
de Lyon. Il n'y a dans cette affirmation aucun chauvinisme. Mais, si pèlerinage
il y a, pourquoi s'interdire de considérer ce qui, dans la démarche extérieure,
peut corroborer et soutenir la démarche intérieure.
Au plus près des origines
Les historiens sont, je crois, d'accord pour dire que l'Eglise de Lyon est "la
doyenne" des Eglises de France, la plus ancienne Eglise de notre pays. Selon
toute vraisemblance, aucune Eglise épiscopale en Europe, Rome mise à part, ne
peut se réclamer d'une origine aussi ancienne. Ce que nous savons de la communauté
chrétienne de Lyon par la Lettre sur les Martyrs de 177 suppose une fondation
remontant aux années 150. Quand donc on vient ici en pèlerinage, on remonte,
à travers les lieux, non seulement au plus près de la venue du christianisme
en Gaule, mais fort près de l'expansion première de la foi chrétienne autour
du bassin de la Méditerranée.
On sait que les chrétiens qui ont fondé l'Eglise de Lyon connaissaient "l'Eglise
de Dieu qui est à Ephèse". Ils connaissaient "l'Eglise de Dieu qui est à Smyrne".
Deux des principaux martyrs de 177 étaient originaires de Pergame, en Asie,
et de Phrygie. La Lettre sur les Martyrs est d'ailleurs adressée "aux
frères d'Asie et de Phrygie qui ont la même foi et la même espérance que nous
en la Rédemption." Mentionner ces liens de l'antique Eglise de Lyon avec les
Eglises d'Orient, c'est traduire d'une autre manière cette perspective de la
venue aux sources de la foi. On pourrait aussi insister sur les liens avec Rome,
dont témoigneront les écrits ou les voyages d'Irénée, le second évêque de Lyon.
Des historiens pensent d'ailleurs que Rome, par laquelle les orientaux gagnaient
la Méditerranée occidentale, n'a pas été étrangère à la fondation de l'Eglise
de Lyon.
La communauté des martyrs
Sur cet arrière-plan, je voudrais, toujours dans la perspective de la venue
aux sources de la foi, dire quelques mots des martyrs de 177 et de saint Irénée.
Les martyrs de Lyon ont écrit la première page connue de l'histoire de la foi
chrétienne en notre pays. Un groupe de chrétiens subirent alors de terribles
tortures et furent mis à mort en témoignant, et parce qu'ils témoignaient, de
leur foi en Jésus-Christ. Il est impossible, pour des raisons pratiques, qu'un
groupe aussi nombreux que le nôtre aille sur les pentes de la Croix Rousse,
à l'amphithéâtre des Trois Gaules, qui vit mourir Blandine et ses "frères
et sœurs". Mais lorsque le Pape Jean-Paul II est venu à Lyon en 1986, c'est
là qu'il accomplit sa toute première démarche spirituelle. Et je vous invite
en quelque sorte à faire de même, à regarder par exemple Blandine, dont la Lettre
sur les Martyrsdit : "La dernière de tous, elle se hâtait de rejoindre les
autres, heureuse et rayonnante de joie à cause de ce départ, comme si elle était
conviée à un repas de noces."
Si j'ose vous faire passer par une telle porte, ce n'est évidemment pas à cause
de je ne sais quelle complaisance douteuse. C'est d'abord par fidélité à l'histoire.
C'est aussi parce que, comme le dit Jean-Paul II, "la mémoire des martyrs
est un signe permanent, mais aussi particulièrement éloquent de la vérité de
l'amour chrétien." Je n'ignore nullement qu'il n'est pas si simple de parler
de ces choses quand on ne court pas de risque immédiat. Mais qu'on le veuille
ou non, en célébrant les martyrs, l'Eglise a perçu intuitivement quelque chose
du mystère de l'évangélisation. Car les martyrs, ce sont des témoins, des hommes,
des femmes, qui, librement, affirment jusqu'à la mort leur confiance dans leur
Créateur et Sauveur et leur amour de leurs frères. Donnant leur vie par amour,
ils disent à l'Eglise tout entière la mission qu'elle a reçue de témoigner de
la puissance d'amour et de pardon qui est dans le Christ. Ils redisent à l'Eglise
que l'impensable de l'amour et du pardon peut l'emporter sur l'impensable de
la haine et de la violence. Or c'est de ce mystère que l'humanité a le plus
besoin pour vivre. Pour que s'ouvrent en elle des chemins de guérison et de
réconciliation, il faut une liberté, un amour, une miséricorde dont les martyrs
sont à jamais les témoins.
Actualité d'Irénée
Si, après les martyrs, je veux dire un mot de saint Irénée, c'est parce qu'il
a été en quelque sorte l'homme de la foi et l'homme des sources de la foi. Le
Cardinal Decourtray écrivait, en 1985, en présentant la grande œuvre d'Irénée,
cette "Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur", que l'on
appelle couramment l'Adversus Haereses : "Je suis persuadé qu'en luttant
contre le gnosticisme, le deuxième évêque de Lyon a combattu, il y a exactement
dix-huit siècles, la déviance la plus redoutable que rencontre aujourd'hui la
foi chrétienne, du moins en Occident."
Le gnosticisme ! Impossible de résumer correctement cette doctrine qui, entre
autres aspects, tend à méconnaître tout ce qui, dans le message évangélique,
établit un rapport entre le salut de l'humanité et la réalité historique de
Jésus de Nazareth et de ce qu'il a vécu. Celui qui a la "connaissance" sait
qu'il appartient à un autre monde que le nôtre, qu'il est une étincelle du divin,
mais il ne saurait être sauvé par une incarnation, même si la descente d'un
sauveur en ce monde révèle aux "illuminés" ce qu'ils sont.
Si je me permets ce mauvais résumé, c'est pour pouvoir dire un mot de la façon
dont Irénée se situe par rapport à l'hérésie, c'est pour pouvoir mettre en relief
trois aspects de sa doctrine, qui ont bien à voir, me semble-t-il, avec les
sources de la foi.
Irénée est lui-même l'homme qui conduit ses lecteurs aux sources de la foi.
C'est dans le Livre de la Parole qu'il cherche les réponses aux questions que
l'hérésie lui pose. Il fouille l'Ecriture et y trouve les moyens de lutter "pour
la seule foi vraie et vivifiante, que l'Eglise a reçue des Apôtres et qu'elle
transmet à ses enfants." Aux fondements de la doctrine d'Irénée, il y a
la vérité des Ecritures. Car "le Seigneur de toutes choses a donné à ses
Apôtres le pouvoir d'annoncer l'Evangile, et c'est par eux que nous avons connu
la vérité, c'est-à-dire l'enseignement du Fils de Dieu… Cet Evangile, ils l'ont
d'abord prêché ; ensuite, par la volonté de Dieu, ils nous l'ont transmis dans
les Ecritures, pour qu'il soit le fondement et la colonne de notre foi."
(AH, III, 1.1)
Irénée ajoute : "On ne peut trouver la vérité à partir des Ecritures si l'on
ignore la Tradition." (AH, III, 2.1) Et il parle de la Tradition
des Apôtres, "qui a été manifestée dans le monde entier" et qui "peut
être perçue en toute Eglise par tous ceux qui veulent voir la vérité." (AH,
III, 3.2) Ne pouvant parler de la succession apostolique en toutes les
Eglises, il fait allusion à l'une d'entre elles, "l'Eglise très grande, très
ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux Apôtres Pierre et Paul
fondèrent et établirent à Rome… Avec cette Eglise, en raison de son origine
plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise… , elle en qui
toujours… a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres." (AH, III,
3.2) C'est en ayant ainsi emprunté le chemin de la source qu'Irénée a
exposé la vraie foi et parlé du "seul Maître sûr et véridique, le Verbe de
Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur, lui qui, à cause de son surabondant amour,
s'est fait cela même que nous sommes, afin de faire de nous cela même qu'il
est." (AH, V, Pr)
Vous trouvez peut-être mon détour un peu long et un peu fatigant. Je crois pourtant
que nous sommes au cœur même de notre thème. Au synode sur l'Europe, en octobre
1999, cherchant ce qu'il appelait le cœur du problème pastoral dans l'Europe
d'aujourd'hui, un évêque disait : "Le défi des défis, c'est la foi en Jésus-Christ.
Cette question fondamentale nous concerne nous, les chrétiens, et notre foi.
Jusqu'où sommes-nous chrétiens ? Notre problème missionnaire le plus sérieux
n'est pas celui des non-chrétiens et des non-baptisés ; c'est celui des chrétiens
eux-mêmes qui doivent être aidés à croire davantage dans le Seigneur Jésus.
Dans l'Europe d'aujourd'hui, la priorité n'est pas tant de baptiser les convertis
que de convertir les baptisés." (Cardinal Tettamanzi, archevêque de Gênes)
Ces tout derniers mots mis à part, je crois que saint Irénée n'aurait pas désavoué
de tels propos.
Mais pour connaître le Christ, afin de proposer la foi en France au XXIème siècle,
il nous faut avoir confiance en l'Eglise qui, dans sa Tradition, nous donne
accès à l'Ecriture. Nous savons bien, si nous sommes un peu avertis, tout ce
qui tend aujourd'hui à faire de l'Eglise non le lieu même de notre rencontre
avec le Christ, mais un écran entre le Christ et nous. Mon propos n'est pas
ici d'amorcer un parcours théologique complexe. Il est simplement d'énoncer
ce que cela implique que d'aller aux sources de la foi.
AUX SOURCES DE LA FOI
Nous restons bien dans cette perspective, mais je vous propose en quelque
sorte de quitter Lyon et de changer de registre. Je vous propose d'insister
davantage sur la démarche intérieure que comporte et suppose notre pèlerinage.
Avec Jean-Paul II, dans "Au début du nouveau millénaire"
Cette démarche ne me semble pas très éloignée de celle à laquelle nous a appelés
le Pape Jean-Paul II dans sa lettre apostolique "Novo millennio ineunte".
Avant, en effet, de "repartir du Christ", pour éclairer les chemins de l'Evangile
au début du troisième millénaire, le pape a invité l'Eglise à contempler, grâce
au témoignage des Evangiles, le visage du Christ. "En restant ancrés dans l'Ecriture
- je cite Jean-Paul II - nous nous ouvrons à l'action de l'Esprit… et au témoignage
des Apôtres qui ont fait la vivante expérience du Christ." (N°17) Les récits
évangéliques nous conduisent vers le Christ ressuscité, sur lequel "l'Eglise
a les yeux fixés." "Réconfortée par cette expérience, l'Eglise reprend aujourd'hui
son chemin, pour annoncer le Christ au monde, au début du troisième millénaire
: "Jésus-Christ est le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais." (NMI,
28)
Il me semble que nous sommes ici tout près la pensée de saint Irénée et, en
même temps, tendus vers la proposition de la foi. Mais il faut prendre le temps
d'aller aux sources. Face aux grand défis de notre temps, en effet - je reste
dans la lettre du Pape - "il ne s'agit pas d'inventer un nouveau programme.
Le programme existe déjà : c'est celui de toujours, tiré de l'Evangile et de
la tradition vivante. Il est centré en dernière analyse sur le Christ lui-même
qu'il faut connaître, aimer, imiter pour vivre en lui la vie trinitaire et pour
transformer l'histoire jusqu'à son achèvement dans la Jérusalem céleste… Ce
programme de toujours est notre programme pour le troisième millénaire." (NMI,
29)
Cette marche vers les sources, on pourrait en exprimer la portée d'une autre
manière en redisant comment l'Eglise, pour être évangélisatrice, est appelée
à s'évangéliser elle-même. Je citerai volontiers le Pape Paul VI dans un texte
qui n'a pas vieilli : "Evangélisatrice, l'Eglise commence par s'évangéliser
elle-même. Communauté de croyants, communauté de l'espérance vécue et communiquée,
communauté d'amour fraternel, elle a besoin d'écouter sans cesse ce qu'elle
doit croire, ses raisons d'espérer, le commandement nouveau de l'amour." (EN,
15) Ce qui vaut pour l'Eglise tout entière vaut évidemment pour chaque évangélisateur,
quelle que soit sa mission précise dans la mission d'évangélisation.
Ecouter la Parole et "repartir du Christ"
Si, pour aller ainsi aux sources de la foi, il nous faut ouvrir l'Evangile,
contempler le Christ, écouter sa Parole, je me dis que la logique du cheminement
que j'esquisse avec vous ce matin est que nous prenions au moins quelques instants
pour faire cela, ici et maintenant, ensemble. Je vous propose donc de retrouver
ces quelques récits évangéliques particulièrement connus, et dont nous avons
déjà découvert l'importance, à la fois et indissociablement, pour notre vie
de croyants et pour le ministère que vous serez, si le Seigneur le veut, appelés
un jour à exercer.
Le premier de ces passages, c'est, j'allais presque dire 'évidemment', la profession
de foi de Pierre à Césarée : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant." De ce
passage, je voudrais pour nous, ici, faire ressortir trois choses. Je pense
d'abord à la manière dont Jésus s'y prend pour introduire la question. Il demande
: "Aux dires des hommes, qui est le Fils de l'homme ?" Après les réponses apportées
par les disciples, Jésus leur dit : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?"
Même si, dans une homélie, il peut paraître intéressant, pour attirer l'attention,
de laisser penser que Jésus commence par faire une sorte de sondage d'opinion,
l'essentiel est certainement ailleurs. Ailleurs, c'est-à-dire dans l'originalité
de la réponse de foi par rapport à tout autre réponse. Car la foi n'est pas
une réponse parmi d'autres. Elle établit véritablement une relation de communion
entre le Christ et nous. En ce sens, d'ailleurs, la foi peut elle-même être
dite une source, une source dont l'eau ne demande qu'à se répandre pour irriguer
la totalité de notre être. Et l'Eglise est la communion de ceux que la foi met
en communion avec le Christ.
Ma deuxième réflexion : je suis toujours sensible dans ce passage à la manière
dont la mission la plus universelle est confiée à Pierre dans la relation la
plus intime et la plus personnelle. Ainsi en sera-t-il pour nous, au jour de
notre ordination. Et ce mystère est déjà à l'œuvre en notre vie, dans la mesure
même où nous allons aux sources de la foi, pour proposer un jour la foi.
Enfin, la foi de Pierre est celle-là même sur laquelle l'Eglise repose. C'est
la foi des Apôtres, dans laquelle, depuis le matin de Pâques, la nôtre est enracinée.
S'il vaut la peine de le souligner, c'est, bien sûr, à cause de notre foi personnelle.
Mais c'est aussi parce que, comme prêtres, nous "participerons pour notre part",
comme le dit le Concile Vatican II, "à la fonction des Apôtres", nous aurons,
comme élément essentiel de notre mission, à aider les autres à s'enraciner dans
la foi de l'Eglise, la foi des Apôtres. L'évêque de Lyon, en l'an 1001, par
exemple, aurait déjà pu le dire aux prêtres de son diocèse. C'est encore vrai
un millénaire plus tard.
La deuxième page d'Evangile à laquelle je vous propose de vous arrêter est celle
qui nous rapporte la prédication de Jésus dans la synagogue de Nazareth. (Luc
4, 16-28) Rappelons-nous : Jésus, au bord du Jourdain, a reçu l'onction de l'Esprit.
Il est dans son pays, là où il a emprunté son chemin d'homme, là où il a reçu
et fait siennes la langue, les coutumes, la culture, la tradition religieuse
de son peuple. Mais il laisse entrevoir son secret : il est d'abord un envoyé.
Sa mission, on pourrait dire, dans la lumière que lui-même nous donne de la
prophétie d'Isaïe, qu'elle consiste à manifester l'humanité de Dieu. Cette Bonne
Nouvelle, il va la déployer par sa parole et par ses gestes. Quand il dit :
"Cette parole, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit", il s'agit de l'aujourd'hui
du ministère de Jésus. Mais cet aujourd'hui dure encore : aujourd'hui du Salut,
aujourd'hui du pardon, aujourd'hui de la foi, aujourd'hui de l'Eglise.
Il faut souligner que, quand Jésus annonce la Bonne Nouvelle, il est à la fois
l'évangélisateur et l'Evangile. La Bonne Nouvelle, c'est lui ; la Bonne Nouvelle,
c'est qu'il soit de manière unique le Fils Bien-Aimé du Père. Les mots de la
fin : "Passant au milieu d'eux, il allait son chemin", nous laissent entrevoir
jusqu'où ira l'annonce de la Bonne Nouvelle, jusqu'aux événements et au mystère
de Pâques.
Cet épisode est comme une préface du ministère de Jésus, mais aussi du ministère
de l'Eglise tout entière. Cet épisode nous dit que si la Bonne Nouvelle est
attendue, en ce sens qu'elle rejoint les aspirations les plus profondes du cœur
de l'homme, elle est aussi inattendue, car la révélation du Dieu vivant et vrai,
de son amour universel et gratuit, dépasse tout ce à quoi l'homme pouvait s'attendre.
Le récit de la synagogue de Nazareth nous empêcherait, s'il était besoin, de
réduire le mystère de l'évangélisation à un problème de communication. Aller
"aux sources de la foi pour proposer la foi", c'est toujours passer par la synagogue
de Nazareth, c'est prendre le temps d'y demeurer ; c'est, lorsque Jésus en sort,
le suivre pour emprunter son chemin. S'il me paraît important de nous redire
ces choses, c'est entre autres pour que, par-delà toutes les analyses sociologiques
possibles et utiles qui vont expliquer à leur niveau la situation de l'Eglise
dans une société, nous soyons moins étonnés que l'annonce de l'Evangile n'aille
pas de soi. Si une source coulait dans la synagogue de Nazareth, ce pourrait
être, pour les ministres de la Bonne Nouvelle, une source de courage.
Les derniers passages de l'Evangile auxquels je voudrais faire allusion nous
rapportent ces moments (je pense ici à la "pêche miraculeuse" ou à la "multiplication
des pains"), ces moments où Jésus dévoile à ses Apôtres ce que sera leur mission,
et ceci en leur révélant la sienne, à travers un signe qui rattache leur mission
à eux à sa mission à lui. Arrêtons-nous une seconde au signe de la pêche en
saint Luc. Le récit que celui-ci nous en donne nous permet d'aller à la source
de la foi, en entrevoyant avec Pierre qui est Jésus, en reconnaissant notre
péché et en accueillant la liberté qu'il nous donne. Ce récit nous permet d'aller
à la source de la mission, qui consiste à jeter le filet de la parole apostolique
sur le monde auquel nous sommes envoyés.
Pour ce qui est du signe des pains, on peut en lire la narration dans chacun
des trois synoptiques. Je songe plutôt à saint Marc. Jésus est ici le Bon Pasteur,
le vrai Berger, celui qui a pitié des foules parce qu'elles étaient "comme des
brebis qui n'ont pas de berger". Ces foules, Jésus les rassemble. Il fait d'elles
un peuple organisé. Il fait d'elles une communauté de table. Les disciples auraient
voulu renvoyer ces gens. Mais Jésus ne les renvoie pas. Dans notre vie de pasteurs,
nous ne pouvons pas renvoyer les foules et nous entendons et réentendons sans
cesse Jésus qui nous dit : "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Jésus nous demandera
combien nous avons de pains. Mais le pain qui rassasie les foules, celui qui
apaise la véritable faim des hommes, lui seul peut le mettre en nos mains. Car
c'est lui qui ayant rompu les pains, "les donnait aux disciples pour qu'ils
les offrent aux gens."
Ce pain dont parle l'Evangile, c'est déjà, nous le savons bien, le pain de l'Eucharistie.
Aller à la source de la foi pour proposer la foi, c'est aller avec Jésus "à
l'écart dans un lieu désert", c'est l'écouter qui parle depuis la barque, c'est
aussi découvrir et redécouvrir que les douze paniers ne sont pas encore vides
et que le pain eucharistique est toujours offert.
PROPOSER LA FOI EN FRANCE AU XXIè SIECLE
Je vous invite maintenant, pour continuer à honorer le thème de votre rassemblement,
à revenir en France au début du XXIè siècle. Au moins pour ceux d'entre vous
qui ont déjà quelque temps de formation derrière eux, vous avez pu lire depuis
quelques années tellement d'analyses de la situation de l'Eglise dans la société
française, tellement de réflexions sur l'évangélisation ou la proposition de
la foi, que l'on peut hésiter à emprunter la même route. Pourtant, quelques
brefs rappels peuvent nous tourner vers l'avenir et nous inviter à accueillir
l'espérance dont nous avons besoin.
Des éléments du paysage
En 1981, à Lourdes, le Cardinal Etchegaray, alors Président de la Conférence
des Evêques de France, avait dit ceci : "Il ne faut pas se le cacher : notre
Eglise commence à peine son exode… Nous ne sentons plus sous nos pas l'humus
chrétien, qui a nourri tant de générations. Le peuple qui avance lentement compte
moins de pratiquants, moins de militants, et ses enfants sont moins nombreux
à être catéchisés. Les prêtres qui accompagnent le peuple sont de plus en plus
clairsemés, vieillis et affaiblis par la surcharge ou la dispersion de leurs
tâches. Jusqu'ici nous pouvions vivre d'illusions, d'expédients. Maintenant
nous découvrons que le décalage entre l'Evangile et le monde est beaucoup plus
grand que notre mémoire collective ne l'imaginait… Il est dur mais exaltant
de se reconnaître contemporain du Christ et des Apôtres. " Vingt ans après exactement,
on peut porter le même diagnostic. On peut aussi, Dieu merci, le conclure de
la même manière, et c'est bien pour cela que nous venons aux sources de la foi.
Parmi les éléments caractéristiques du terrain que les ouvriers de l'Evangile
ont à parcourir, il y a (cela peut peut-être paraître paradoxal par rapport
à ce qui précède) la complexité. On peut bien sûr penser à la multiplicité des
appartenances religieuses, mais, beaucoup plus largement, à toutes les données
qui se croisent et s'entrecroisent pour caractériser la relation de l'Eglise
à la société : ruptures de tradition, renvoi du religieux à la vie privée, primat
de la conscience individuelle sur toute forme d'appartenance, surgissement de
demandes religieuses ou spirituelles inattendues ou incongrues… Inutile de continuer.
Ce que je veux noter, c'est simplement que, dans un pareil environnement, les
méthodes toutes faites, les chemins balisés d'avance, deviennent peu crédibles,
de telle manière que nombre de serviteurs de l'évangélisation ont le sentiment
de ne plus savoir où donner de la tête. Il faut d'ailleurs reconnaître que nous
pouvons être déroutés par l'absence d'évidence quant aux moyens à employer,
l'absence de recette, l'incertitude sur les comment. Il nous faut être comme
en état de discernement permanent. Cela ne veut certes pas dire que nous n'avons
pas besoin de rigueur, de plans ou de projets, mais cela veut dire qu'il nous
faut toujours aller au cœur du mystère de l'évangélisation, que ce qui compte,
c'est la nouveauté de la foi, le fait que Dieu se propose à une liberté humaine
et vient transformer une existence.
Je m'arrête à un dernier aspect du paysage. Le Cardinal Ratzinger était interviewé,
il y a quelques jours, sur la "réduction numérique" de l'Eglise. Il disait :
"La possibilité d'identification entre un peuple et l'Eglise se réduit. Nous
devons en prendre acte. L'Eglise continuera pourtant à exprimer son point de
vue et à proposer les grandes valeurs universelles qui sont les étoiles polaires
de la construction d'un corps social humain… L'Eglise de masse peut être quelque
chose de très beau, mais ce n'est pas l'unique modalité d'existence de l'Eglise.
L'Eglise des premiers temps était petite, sans être pour autant une communauté
sectaire. Au contraire, elle ne se refermait pas sur elle-même, mais se reconnaissait
des devoirs envers les plus pauvres et les plus malades. Ceux qui ne se sentaient
pas encore prêts à une identification totale avec l'Eglise pouvaient, dans une
certaine mesure, s'en approcher pour voir ensuite s'ils allaient faire le pas
définitif…. Nous ne pouvons accepter tranquillement que le reste de l'humanité
se précipite dans le paganisme qui est de retour. Nous devons trouver une route
pour porter l'Evangile aux non-croyants."
Ainsi n'avons-nous pas à être les nostalgiques de la situation d'hier. Mais
nous n'avons pas davantage à être les théoriciens malavisés d'une Eglise dite
minoritaire, dont l'idéal serait d'être réduite au plus petit nombre possible
de "confessants". Nous nous mettons humblement devant la tâche qui nous est
confiée, refusant tout repliement sectaire, conscients d'être chargés d'une
responsabilité à l'égard de tous. Notre perspective n'est pas de reconquérir
un monde que nous voudrions mettre sous notre influence. Simplement, nous ne
pouvons pas ne pas annoncer l'Evangile.
Et cette responsabilité durera tant que nous n'aurons pas achevé la tâche que
Paul VI définissait en 1975 : "Evangéliser, pour l'Eglise, c'est porter la Bonne
Nouvelle dans tous les milieux de l'humanité et, par son impact, transformer
du dedans, rendre neuve l'humanité elle-même… Mais il n'y a pas d'humanité nouvelle,
s'il n'y a pas d'abord d'homme nouveau, de la nouveauté du baptême et de la
vie selon l'Evangile. Le but de l'évangélisation est donc bien ce changement
intérieur et, s'il fallait le traduire d'un mot, le plus juste serait de dire
que l'Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du message qu'elle
proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et
collective des hommes, l'activité dans laquelle ils s'engagent, la vie et le
milieu concrets qui sont les leurs."
Proposer la foi
Pouvons-nous expliciter modestement quelques caractéristiques de la proposition
de la foi à l'heure actuelle. Le mot même de proposer dit bien qu'il s'agit
d'éveiller des libertés humaines au don que Dieu veut leur faire, d'offrir à
quelqu'un de se laisser conduire jusqu'à la source de vie qu'est le Christ.
Le Pape Jean-Paul II disait, en octobre 2000, aux évêques rassemblés pour leur
célébration jubilaire : "Lorsque nous relisons les actes des Apôtres, nous sommes
impressionnés par la ferveur avec laquelle la première cellule apostolique semait
à pleines mains avec la force de l'Esprit la semence de la Parole. Nous devons
retrouver l'enthousiasme propre à la Pentecôte… L'annonce de l'Evangile est
l'acte d'amour suprême à l'égard de l'homme, de sa liberté et de sa soif de
bonheur." "L'acte d'amour suprême !" Si nous allons vraiment aux sources de
la foi, c'est cela d'abord qui peut nous habiter. Proposer la foi n'est pas
seulement un véritable service à rendre aux hommes d'aujourd'hui. C'est, du
point de vue de cette foi elle-même, le premier service que l'on peut leur rendre,
que l'on peut offrir à une humanité créée par Dieu et rachetée par le Christ.
Pour que l'Eglise vive cela, il faut qu'elle se comprenne elle-même comme une
réalité de foi. Bien sûr, elle ne peut pas se passer de rigueur institutionnelle,
d'évaluation de ses fonctionnements, de clarté dans l'administration, d'articulation
des responsabilités, et bien d'autres choses. Encore faut-il que cette Eglise
ne soit pas préoccupée d'abord de la manière dont elle fonctionne, mais de devenir
ce qu'elle est, sacrement du Christ pour la vie du monde, "signe et moyen de
l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain", pour parler
comme le Concile. C'est d'ailleurs dans cette Eglise que les vocations se complètent
et s'appuient les unes les autres. C'est dans cette Eglise que prêtres, diacres
et laïcs, loin d'être comme en situation de concurrence, prennent ensemble en
charge la même mission. C'est dans cette Eglise que les prêtres peuvent être
heureux, parce qu'ils tendent à faire ce pour quoi ils sont faits.
J'ai dit en cours de route que la foi elle-même pouvait être comprise comme
une source. Mais pour boire à la source, il faut avoir soif. De même que, lorsque
nous méditons le signe des pains dans l'Evangile, nous pouvons nous dire qu'aujourd'hui,
ce n'est pas le pain qui manque, mais plutôt la faim, ainsi pouvons-nous penser
que ce qui manque, ce n'est pas l'eau vive de la source, mais la soif qui donne
envie de la boire. Proposer la foi, c'est bien sûr déblayer le chemin qui conduit
à la source. C'est aussi permettre à ceux dont nous croisons la route de découvrir
leur véritable soif.
Sans doute sommes-nous aujourd'hui plus positivement sensibles qu'il y a quelques
années à une proposition évangélique sans trop de présupposés, sans cheminements
préalables qui semblent ne jamais finir. Sans doute sommes-nous moins réticents
devant un certain abrupt de la proposition de la foi. Mais nous savons bien
qu'il n'existe pas d'évangélisation sans dialogue. Si nous voulons offrir des
réponses, il faut écouter les questions, et nous ne pouvons pas écouter seulement
les questions pour lesquelles nous avons des réponses.
La Lettre aux catholiques de France, en 1996, avait abordé le problème
du rapport entre la foi chrétienne et la vie morale. Les positions que prend
l'Eglise dans un certain nombre de domaines touchant la vie, l'amour ou la mort,
paraissent à ce point en décalage par rapport à l'opinion majoritaire que des
chrétiens seraient tentés de réagir sur le mode : "Si seulement l'Eglise cessait
de prêcher la morale, on pourrait enfin annoncer l'Evangile."
Mais ce n'est évidemment pas si simple. Comment les disciples du Fils de Dieu
fait homme se désintéresseraient-ils de l'homme, de sa vie, de son avenir ?
Comment ne se préoccuperaient-ils pas de l'humanité de l'homme, de sa manière
de se comporter ou non en être humain ? Le premier dimanche du mois de septembre,
nous avons lu, à la célébration eucharistique, deux petites paraboles que Jésus
prononce chez un pharisien où il est venu prendre son repas. Il parle d'abord
des invités et du choix des places et ayant décrit leur comportement, ajoute
: "Au contraire, quand tu es invité… " Puis il parle de l'invitation elle-même
et ajoute : "Au contraire, quand tu donnes un festin, invite les pauvres… "
Nous n'avons certes pas à faire comme si en tout domaine il nous fallait forcément
prendre le contre-pied de notre société. Mais il y a des moments où il faut
savoir dire : "Au contraire…" Proposer la foi en France au XXIè siècle implique
que devant certains comportements, certaines opinions, certaines législations,
on sache dire : "Au contraire…" Cela n'exclut ni la patience, ni le temps de
l'accompagnement, ni le respect dû au cheminement de la conscience, cela exclut
encore moins la miséricorde, mais cela appelle la clarté, la liberté intérieure,
la charité pastorale, le sens vrai des personnes.
***
"Aux sources de la foi à Lyon pour proposer la foi en France au XXIème siècle".
Je ne sais si j'ai bien parcouru le chemin. J'ai du moins esquissé quelques
pas, partant de la capitale des Gaules au 2ème siècle, pour venir en France
au XXIème. Mais, nous le savons bien, la source, c'est au-delà du 2ème siècle
à Lyon qu'il faut aller la chercher. L'Eglise est toujours appelée à la découvrir
dans la chambre haute, où les disciples avec Marie attendaient la venue de l'Esprit.
Puisque nous sommes rassemblés dans un sanctuaire dédié à Notre-Dame, qu'elle
demande pour nous d'être demain, pour la proposition de la foi au XXIème siècle,
les apôtres d'une Eglise de Pentecôte.
Cardinal Billé
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